Endurance Magazine > Analyse > Le Mans 2024 : la victoire Ferrari, ou la défaite Toyota ?

Le Mans 2024 : la victoire Ferrari, ou la défaite Toyota ?


Avant le départ de cette 92e édition des 24 Heures du Mans, il était bien difficile de faire un pronostic tant la catégorie Hypercar était fournie (23 voitures) et le nombre de vainqueurs potentiels important (une quinzaine de voitures selon moi). Porsche, arrivé en forme avec la victoire des 24 Heures de Daytona, celle des 1812 km du Qatar, ou encore l'exploit de Team Jota à Spa-Francorchamps, faisait figure de candidat sérieux. Tout semblait faire de Porsche le vainqueur de cette édition 2024, encore plus après le tour canon réalisé en Hyperpole par Kévin Estre.

Mais le verdict de la course a été tout autre. La bataille a bien eu lieu entre les trois grandes forces du plateau qui ont émergé depuis des mois : Porsche Pensle Motorsport donc, Toyota Gazoo Racing, et enfin Ferrari AF Corse. Cadillac a un temps été en mesure de se battre, mais c'est bien entre ces trois ténors que l'explication s'est tenue jusqu'au matin, avant qu'un duel final ,e se tienne entre la GR010 Hybrid #7 de José María López/Kamui Kobayashi/Nyck de Vries et la Ferrari 499P #50 d'Antonio Fuoco/Miguel Molina/Nicklas Nielsen.

Ferrari tout de suite au rendez-vous

Comme cela est la coutume, le départ est marqué par de l'animation devant, tous les pilotes cherchant à se placer dans ce field de 23 voitures. Le format particulier des qualifications des 24 Heures du Mans - avec 1 heure de qualifications et 30 minutes d'Hyperpole - ne présente plus comme cela était le cas avant 2021 selon moi une grille "ordonnée", avec un ordre de départ reflétant plus justement le rythme de chacun.

L'Hyperpole et sa loterie (les pilotes n'ont que peu de tentatives, et les drapeaux rouges fréquents) a vu ainsi la Cadillac V-Series.R #3 de Sébastien Bourdais/Renger van der Zande/Scott Dixon se hisser deuxième, l'Alpine A424 #35 de Paul-Loup Chatin/Ferdinand Habsburg-Lothringen/Charles Milesi cinquième ou la BMW M Hybrid V8 #15 de Dries Vanthoor/Raffaele Marciello/Marco Wittmann septième. Des performances individuelles, fortes, qui n'allaeint toutefois pas suffire sur les premiers relais à contenir la puissance des Ferrari 499P et des GR010 Hybrid.

Pour Ferrari, le premier signe fort intervient après moins de 15 minutes d'épreuve. Après 3 tours seulement et un petit bout de ligne droite des Hunaudières, les deux machines officielles sont au commandement de l'épreuve. La Ferrari 499P #83 emmenée par Robert Kubica commence elle aussi sa remontée, partie 12e, elle pointe cinquième très vite, et sera même la première voiture à occuper le commandement lors de l'arrivée de la pluie et sa gestion complexe.

Nous ne sommes pas encore à l'entame de la nuit, mais le sentiment que cette 499P jaune, inédite, peut réaliser un exploit, émerge. Après la victoire de 2023, l'arrivée de cette 499P à la robe rendant hommage à l'Ecurie Francorchamps est appréciée par les spectateurs. Et puisque Hertz Team Jota a gagné à Spa-Francorchamps, on peut croire au succès de cette 499P "privée". Une belle aventure comme Le Mans sait nous en offrir se prépare. Il n'en sera finalement rien.

Malgré le travail impeccable de Robert Kubica, Robert Shwartzman et Yifei Ye, le sort s'acharne. A 22 h 37, un contact entre le Polonais et la BMW M Hybrid V8 #15 de Dries Vanthoor (qui allait se faire prendre 1 tour) entraîne une pénalité de 30 secondes. Suffisant pour que la belle italienne tombe de sa première place. Jamais elle n'y retournera. Et le dimanche, c'est un problème sur le système électrique qui oblige l'équipe à stopper. La voiture se met en sécurité, obligeant les mécaniciens à la manoeuvrer avec des gants spéciaux isolés. C'est l'abandon.

Le Mans en pause face aux éléments

Un élément marquant de cette édition 2024 restera la nuit, pendant laquelle la course fut "mise en pause". Pendant 4 h 30 d'affilé, la course était sous régime de voiture de sécurité. Au total, plus d'un quart de l'épreuve a été neutralisé, ce qui constitue un record (le précédent datait de 2013, année restée tristement célèbre, avec la disparition d'Allan Simonsen). Avec des averses dès le samedi soir, puis à nouveau dimanche, le rythme de course fut haché, cassé. Voilà pourquoi la distance couverte (311 tours) constitue la plus petite référence depuis 1995 et la victoire d'une McLaren F1 GTR, sous la pluie déjà. A titre de comparaison, les vainqueurs de 2023 en LMGTE Am - Nicky Catsburg / Ben Keating / Nicolás Varrone avaient couvert 313 tours !

Ce temps de pause restera dans l'histoire de la course par son caractère inédit. Jamais l'épreuve n'avait été aussi longtemps freinée. Mais il convient - peut-être - de se questionner sur le bien fondé de la procédure. Je ne remets pas ici en cause le jugement de la direction de course qui, je le sais, a accès à des données précieuses, précises, pour juger de la sécurité ou non de la piste. Ne pas relancer les voitures au coeur de la nuit sous la pluie à pleine vitesse était, je l'imagine, la meilleure décision. Pas de doute là-dessus. En revanche, envisager dans ces cas extrêmes un drapeau rouge ne me parait pas totalement idiot.

A ma connaissance, la course n'a pas eu dans son passé d'interruption brutale par drapeau rouge. Il faut croire que cet usage systématique de la voiture de sécurité même dans ce cas extrême a un côté anachronique. Je le répète, ce n'est pas le fond de la décision que je questionne ici, mais la forme.

J'ai fermé les yeux. Un instant, j'ai pris le temps de me poser, sans dormir vraiment, profitant du calme apporté par les trois safety-car. Plutôt que d'avoir un flot incessant de bruits de moteurs, nous avions pendant plus de 4 heures un balai de sons muselés, presque discrets, toutes les 3 minutes (chaque safety-car tournant en 8 à 10 minutes selon les conditions). La nuit n'a pas vu de légendes se construire, de stratégies se bâtir, de rythmes se soutenir.

La nuit n'a pas vu de légendes se construire, de stratégies se bâtir, de rythmes se soutenir.

L'évidence Ferrari, le nouvel échec de Toyota

12 mois après le premier succès étincelant de la 499P au Mans, répéter pareil exploit constituait un double défi chez Ferrari. Premièrement car la 499P n'a remporté aucune autre course depuis, là ou les Cadillac, Porsche et Toyota se composent, toutes, des chapelets de victoires. Deuxièmement car réaliser un "back-to-back", et répéter une victoire en Sarthe, n'est pas toujours simple. Surtout face à une concurrence musclée.

La victoire de la Ferrari 499P #50 de Ferrari AF Corse ne doit pas masquer l'excellente course réalisée par les Toyota, en particulier la #8, qui a tenu les commandes pendant la nuit. A partir de 00 h 30, après la #83 pénalisée, la Toyota a déroulé son plan. L'opposition était tenue à distance, et on sentait les premières fêlures du côté Porsche. Sur la 963 #6 notamment, avec André Lotterer au volant dans la nuit après un premier passage dans le baquet en début d'épreuve lorsque la pluie gagnait le circuit. Lui, le triple vainqueur, ne gardait pas le rythme de la tête. Jamais il ne sera revu dans la voiture ensuite, cumulant moins de 4 heures de temps de roulage en cumulé. Comme un signe que chez Porsche, cette édition 2024 n'était pas la bonne.

Kévin Estre et Laurens Vanthoor non plus ne pouvaient pas tenir le rythme. Il manquait aux 963 quelques km/h supplémentaires en ligne droite, phénomène observé à la fois sur le sec et sur piste humide. Les machines de Flacht n'ont pas eu ce petit bonus de performance si important au Mans. La force du nombre, avec un total de 6 963 engagées - n'a pas permis de corriger ce problème purement propre à al conception de la voiture et à ses éléments (aérodynamiques, mécaniques).

Porsche en déficit de performance, Cadillac en manque de rythme et avec des pilotes commettant des erreurs, c'est un final entre Ferrari et Toyota qui nous a été proposé. La présence de 9 voitures dans le tour du vainqueur est à attribuer en partie aux voitures de sécurité qui ont regroupé le "pack" car les écarts, au delà des 5 premiers, sont marqués. C'est bien un match Italie - Japon qui s'est tenu.

Comment ne pas voir dans le final de cette édition 2024 une répétition de 2023.

Comment ne pas voir dans le final de cette édition 2024 une répétition de 2023. Ferrari gère son énergie, se positionne devant mais a des problèmes avec la fermeture d'une porte. Un vrai clin d'oeil aux soucis avec le système électrique de 2023. Et, autre parallèle, l'erreur de Ryo Hirakawa l'an passé sur la #8 à Arnage a été ici répétée, à la Dunlop, par José María López. De précieuses secondes perdues par l'Argentin appelé en dernière minute (il a été confirmé au pesage vendredi). Avec un écart au damier de 14''221, cette faute peut alimenter de réels regrets.

Toyota a aussi du composer avec des problèmes de turbo, avec des pertes de puissance, et deux crevaisons lentes sur la #8. Ferrari a gagné Le Mans 2024, mais c'est avant tout pour moi Toyota qui a perdu.

Cette victoire de 2024 tient à un fil, et il est difficile de comprendre ce qui a été ou non décisif. Tous les pilotes ont expliqué avoir tenté des paris pneumatiques, avoir géré l'énergie, avoir aussi composé avec le trafic et les FCY. Chaque équipe a eu ses galères, ses moments forts. Ce n'est peut-être pas la victoire de la meilleure voiture et avec le meilleur équipage que nous avons vu ce dimanche. Le Mans a donné un verdict dans sa plus pure tradition, honorant les déçus de 2023, en faisant des héros qui triomphent des éléments.

Ce n'est peut-être pas la victoire de la meilleure voiture et avec le meilleur équipage que nous avons vu ce dimanche.

La 499P confirme son efficacité et assied sa légende en remportant les 24 Heures du Mans 2024. Elle est immédiatement associée au Mans, son unique terre conquise à ce jour. Le fait qu'aucune 499P ne se soit imposée ailleurs reste un fait assez marquant, improbable, tant on a pour habitude de dire qu'il faut briller ailleurs pour prétendre à la victoire en France. L'auto est taillée pour la Sarthe, et le circuit décide de la remercier pour cet engagement. Avant un triplé pour garder le Trophée en 2025 ?

Crédit photo : Ferrari, Porsche, Toyota et Christian Barre pour EM

Découvrir l'équipe Endurance Magazine

Laisser un commentaire