Selon Motorsport.com, Aston Martin est en passe de ressusciter le projet Valkyrie LMH. L’idée serait d’engager l’Hypercar anglaise aux 24 Heures du Mans, avec un double programme Championnat du Monde d'Endurance (WEC) et IMSA en 2025. Une sortie des cartons d’un projet abandonné en 2020 un peu précipitée à notre goût. On vous dit pourquoi.
À la veille de l’édition 2019 des 24 Heures du Mans (en plein cœur de la période de domination de Toyota), la bonne nouvelle arrivait : Aston Martin confirmait son intention de participer dès 2021 à la nouvelle catégorie Hypercar. Toyota annonçait aussi son engagement, mais c’est bien le projet de la firme de Gaydon qui suscitait le plus d’enthousiasme. Depuis 1959, et la seule victoire de la marque en Sarthe, une suite reste à écrire. Le story-telling parfait.
Chez Aston Martin, on tirait largement le fil de cette histoire dans le communiqué de presse de juin 2019 : « En invoquant l'esprit pionnier du fondateur de la société, Lionel Martin, et l'ingéniosité de certains des meilleurs ingénieurs britanniques, Aston Martin s'apprête à porter cet héritage au cours de la prochaine décennie en tentant de remporter Le Mans et le championnat du monde ». Le fantôme de Stirling Moss (il n’était pas encore décédé à l’époque, petit père) était presque visible.
Oui, mais. Entre juin 2019 et le début d’année 2020, les contours de la catégorie Hypercar ont changé avec l’émergence des LMDh. En accord avec l’IMSA, l’Automobile Club de l’Ouest (ACO) a validé une sorte de modèle alternatif à la construction d‘une Hypercar « from scratch ». En prenant une base de P2 ou presque, des composants standardisés et une liberté laissée sur l’aéro, il allait être possible de gagner les classiques (Daytona, Le Mans, Sebring). Dès lors, à quoi bon développer une Hypercar et balancer du cash, si la concurrence peut se battre à armes égales avec un budget moindre ? Regardez le nombre de constructeurs qui ont préféré le modèle LMDh.
En février 2020, décision était prise de mettre en pause le projet. Car les règles du jeu avaient changé. Mais aussi car la situation financière n’était plus tenable. Toyota a tenu mais a du faire pas mal d’ajustement sur sa GR010 Hybrid (et notamment la taille des pneumatiques). Peugeot aussi s’est entêté dans ce schéma Hypercar et pas LMDh, avec les résultats que l’on connaît pour l’instant.
Aston Martin ne revient pas pour profiter de l’émulation du WEC
Si Aston Martin revient en 2025 comme le dit la rumeur, est-ce car le WEC est devenu incontournable, avec des batailles entre constructeurs, et que le moment est opportun pour figurer au milieu de ce peloton ? Nous ne le pensons pas. Toyota s’apprête à terminer une saison quasiment sans faute, en ayant remporté toutes les courses à l’exception de la plus importante (Le Mans, oui, vous avez la victoire de la 499P). L’édition 2023 des 24 Heures du Mans fut passionnante, intense, surprenante, mais il faut avouer que la lecture brute des résultats des autres courses de la saison ne nous donne pas le même engouement.
Non, malgré des constructeurs plus nombreux que jamais – Cadillac, Ferrari, Peugeot, Porsche, Toyota – le championnat dans sa globalité n’a pas encore retrouvé un intérêt majeur. C’est un constat.
Aston Martin est actuellement engagé en Formule 1 (certes uniquement au travers d’un naming et d’une peinture apposée sur les anciennes Force India rose), et cela apporte une visibilité et une notoriété incomparable à celle que peut proposer aujourd’hui le WEC. Entre nous, Aston Martin n’a pas besoin de se frotter à Toyota ou Peugeot, constructeurs généralistes qui ne boxent pas dans la même catégorie dans nos rues. Le moment de se comparer à des constructeurs qui vendent des SUV n’est pas (encore) venu.
Si Aston Martin veut revenir, cela ne semble pas non plus être pour démontrer une innovation technologique majeure. Le retour, toujours selon les informations de Motorsport.com, est envisagé en reprenant la même base technique que celle de la Valkyrie LMH de 2019. Oui, ils ne vont pas révolutionner le concept, mais un V12 de 6,5 litres développé pour la voiture de route en collaboration avec Cosworth, le tout sans système hybride, avouez que ce n’est pas vraiment ce qu’il y a de plus pertinent en 2023. L’ACO veut lancer une catégorie dédiée à l’hydrogène en 2026, et Aston Martin sera là avec un V12 ? La blague. Pas le bon moteur au bon moment. Le V12, c’est dans la Lola AMR1 qu’il chantait bien, quand le monde de l’automobile n’avait pas encore été chamboulé.
Et enfin, ce n’est pas non plus pour trouver une porte de sortie au fils Stroll que le papa devenu président exécutif pourrait relancer le programme Le Mans. Nous n’allons pas ici nous lancer dans un débat concernant les qualités de pilote de Lance Stroll, mais il semble évident que la décision de relancer un tel programme ne repose pas uniquement sur une question d’amour et d’estime père-fils. Voyez plus loin. Ce n’est pas parce que le fiston touche ses limites en monoplace que le projet Hypercar est remis sur pied.
Aston Martin revient car les finances s’améliorent (et le modèle LMH est privilégié)
Depuis l’entrée en bourse ratée en 2018, Aston Martin enchaîne les déconvenues. Lawrence Stroll a sauvé la marque de la faillite en 2020, et multiplie depuis les tours de table pour remettre le paquebot à flot. Pour cela, deux stratégies sont privilégiées : le haut de gamme et l’électrification.
Les émissions de nouvelles actions se succèdent depuis plusieurs mois, avec comme objectif de désendetter le groupe et de retrouver un horizon financier plus clément. On bosse avec les Chinois (Geely), les Américains et les saoudiens (Lucid), bref, avec ceux qui ont de l’argent. L’hybride rechargeable haute performance va devenir l’offre d’accroche, avec une électrification sur tous les nouveaux modèles à partir de 2026. La gamme va passer dans une nouvelle logique, Aston Martin va enfin basculer au XXIe siècle.
Ah, mais la voilà l’explication. C’est parce que les Aston Martin de route vont être hybrides que le constructeur arrive en WEC, pour être cohérent ? Non, vous n’avez pas suivi ou quoi. La Valkyrie ne devrait pas avoir d’hybridation. En fait, si Aston Martin revient c’est, selon nous, car c’est le moins mauvais choix financièrement.
Énormément de cash a été brûlé pour mettre au point la Valkyrie, et l’annonce des LMDh est venu casser le modèle économique de la marque, déjà fébrile du fait de la chute des ventes. David King, Président d’Aston Martin Racing, le confiait en 2020 (chez Autosport). En substance, il expliquait qu’une condition financière était posée pour approuver le programme. Celle-ci, issue des dirigeants de la marque, exigeait qu’une partie de l'investissement soit récupéré par la vente de châssis course de la Valkyrie à des équipes clientes, sinon durant la première année, au moins durant la deuxième et la troisième. Mais avec les LMDh confirmées, Aston Martin a senti le vent tourné. Et surtout les potentiels clients filer.
Désormais, le moment est venu de relancer le programme Hypercar… car les clients sont là.
Après une saison d’opposition LMH-LMDh, on voit que le règlement - et sa fameuse Balance de Performances - privilégie les LMH. Il y a donc des chances de gagner, et de poursuivre l’histoire de 1959. Surtout, un accord semble être en passe de se valider avec la structure Heart of Racing. Aston Martin a déjà largement mis au pot pour développer sa Valkyrie. Si Heart of Racing s’engage sur l’achat de châssis, et qu’un équilibre financier est trouvé pour que la compétition en WEC/IMSA ne coûte pas d’argent à Aston Martin (mais n’en rapporte pas non plus), pourquoi Lawrence Stroll s’en priverait !
Le modèle « connecté » entre F1 et endurance que développent Alpine et Ferrari est cohérent. Chez Aston Martin, on sent que le moment est venu de suivre.
Est-ce pour autant le bon timing ? Oui sur un plan marketing. Sur le plan purement financier, on ne connaît pas l’état de la dette pour juger. Mais Stroll et ses pairs doivent avoir sous les yeux des indicateurs bien plus forts que le simple doigt mouillé que beaucoup utilisent sur les réseaux sociaux pour juger. Cela semble précipité à la lecture des données financières disponibles dans la presse. Précipité, mais en réalité, il faut trouver une issue maintenant au projet Valkyrie couteux, ou l'enterrer à jamais.
Encore une fois, nous ne sommes pas au board AM. Le moment semble donc bon et cohérent pour ceux qui ont les chiffres en main. On regrette seulement l’absence d’audace technologique si le noble V12 non-hybride est conservé. Oui, un v12 c’est osé. Même très culotté. Est-ce cohérent avec l’époque ? Non. Mais on ne boudera pas notre plaisir à l’entendre hurler.
belle article !
toujours sympa de vous lire
dom