Au début des années 90, les constructeurs japonais sont présents partout ou presque en sport-automobile. En rallye, il suffit de regarder le classement des constructeurs de l'année 1991 pour comprendre la poussée venue du pays du soleil levant. Toyota (2e), Mitsubishi (3e), Mazda (5e), Subaru (6e), Nissan (7e) et Daihatsu (10e) sont présents dans le top 10. Dans la discipline reine que constitue la Formule 1, Ayrton Senna est sacré avec une McLaren à moteur Honda. En endurance, le constat est assez similaire. Dans le championnat IMSA GT, couru aux États-Unis, Nissan Performance Technology domine le sujet avec Geoff Brabham et Chip Robinson en GTP. Toyota prendra la relève en 1992 et 1993 avec les terribles Eagle MKIII invincibles ou presque. Aux 24 Heures du Mans, l'année 1991 est synonyme de transition. Avec de nouveaux stands, le circuit reçoit uniquement des prototypes et c'est la Fédération International de l'Automobile (FIA) qui dicte les règles. En ce mois de juin 1991, on croit en l'émergence d'une nouvelle formule pour l'endurance, au début du rapprochement avec la F1. Il n'en n'est finalement rien. Mazda - seul constructeur japonais engagé pour cette 59e édition - l'emporte et devient le premier représentant du pays à triompher. Un succès devenu mythique. Récit.
Une longue montée en pression
L'engagement de Mazda au Mans débute en 1983. Bien avant, en 1970, une initiative privée menée par Yvez Deprez et Julien Vernaeve voit débuter une Chevron avec un moteur bi-rotor 10A issu des Mazda coupés R 100. S’enchaînent ensuite d'autres initiatives, comme l'arrivée de RX-7 par Mazda Auto Tokyo, mais Mazdaspeed, unique représentant officiel, débarque en Sarthe en 1983. La Mazda 717 C est le premier prototype de la catégorie Groupe C Junior classé. En 1984, la 727C échoue au pied du podium C2. Les deux autos sont loin du prototype imaginé par Luigi Colani, designer allemand, sorte de "Léonard de Vinci du XXe siècle" qui a vécu au Japon de 1982 à 1987 et collaboré avec Mazda.
Avec des lignes conventionnelles, les Mazda ne révolutionnent pas le paddock avec leur ligne mais avec leur moteur rotatif. Une innovation complexe, issue de nombreuses années de développement. Nous traiterons le sujet dans un article dédié. En attendant, allez voir cette vidéo des copains de Vilebrequin.
En 1985, le dessin évolue encore avec la 737C et deux exemplaires classés. Arrive alors la 757 en 1986. Pas de 747 ? Le nom n'est pas utilisé, sans doute pour des raisons de gestion interne. En effet, le terme "Project P747" désignait au début des années 80 la seconde génération de la RX-7. Pour ne pas se mélanger les pinceaux, Mazda passe à la 757 puis à la 767 en 1988 (les deux modèles cohabitent).
Vient alors l'année 1989 avec les 767 et 767B. Mazda a revu sa copie en intégrant toutes les évolutions des prototypes passés. Nouvelles chambres d'admission, extrémités des rotors en céramique, pipes d'admission téléscopiques. Les Mazda sont affûtées, développent plus de 600 chevaux et se hissent dans le Top 10. Avec un rythme en course au-delà des 200 km/h de moyenne, une 767B remporte la catégorie GTP à 21 tours seulement de la Sauber C9 victorieuse. Oui, les Mercedes, Jaguar et Porsche sont encore un cran au-dessus, mais les progrès sont notables.
1990 est l'ultime année de préparation. Tout ou presque est nouveau. Le moteur notamment - type 26B - est plus léger et moins volumineux que l'ancien. Surtout, il s'avère plus économe, un point qui avait fait du mal par le passé à Mazda au Mans ou la consommation est régulée.
Le R26B était composé de quatre rotors et, sur le papier, pouvait atteindre une puissance de plus de 900 chevaux. Mais, pour assurer une certaine fiabilité, les ingénieurs Mazda l'ont limité à 650 ch à 8500 tr/min. Le bloc est associé à une boîte de vitesses à cinq rapports produite par Porsche, qui avait précédemment collaboré avec Mazda sur la transmission de la 767. La monocoque, en carbone et kevlar, a été produite par Advanced Composite Technology au Royaume-Uni.
La 787 est une nouvelle voiture avec un dessin revu notamment au niveau du cheminement du flux d'air avec en complément un système de refroidissement optimisé. Parmi les hommes clés, on retrouve Jacky Ickx. Un consultant de luxe surprenant pour notamment orienter le choix des pilotes. Si, comme cela est encore le cas aujourd'hui, les constructeurs japonais veulent faire confiance à des pilotes venus du Japon, Ickx souffle également le nom de sprinters comme Johansson, Herbert, Gachot ou Weidler. En 1990, cet ensemble nouveau ne parvient pas à décrocher le succès.
1991, Mazda se charge de gagner
Pour l'année 1991, soit 21 ans après les premiers tours de roues d'un moteur rotatif aux 24 Heures du Mans, Mazda aligne trois voitures. Hasard ou non, les numéros fétiches du constructeur depuis plusieurs années (201, 202 et 203) sont abandonnés au profit du 18, du 55 et du 56.
Les voitures dotées de leur fameux pistons rotatifs ont le droit d'avoir un poids minimum à 830 kg comme en 1990. Un véritable cadeau fait par les organisateurs alors que les autres concurrents doivent afficher 1 000 kg.
La création de Nigel Stroud avec sa coque en matériaux composites dispose désormais d'un empattement augmenté et d'une voix arrière plus longue. Les roues également ont vu leur diamètre augmenter (de 17 à 18 pouces), ce qui justifie la dénomination de Mazda 787B.
Le son de la 787B est devenu mythique. Vous ne le connaissez pas ? Le voici.
Et une deuxième version maison.
Aux essais des 24 Heures du Mans 1991, ça va déjà vite. 3'50''398 pour la n°18 puis 3'51''470 pour la n°55 dès le mercredi avant la pluie. Les Mazda améliorent ensuite le jeudi, et la meilleure échoue juste derrière la moins bien classée des Jaguar. Sur la grille, ce n'est pas fou : 19e, 20e et 30e, notamment car toutes les voitures qui respectent le nouveau règlement 3,5 litres - comme les Peugeot 905 - sont devant.
A 16 h 00, c'est le départ. Les premières heures de course confirment la bagarre entre Mercedes, Porsche et Jaguar. Le début des 24 Heures du Mans est souvent propice aux surprises et aux déceptions prématurées. Mais Mazda n'est pas de ce camp là. A 18 h 00, les deux 787B sont toujours dans le tour de tête et dans le Top 10.
A 20 h 00, la n°55 est la mieux placée des Mazda mais essuie un retard d'une boucle et demie. Dans l'intervalle, une Peugeot 905 est déjà au tapis, l'autre dans les profondeurs du classement. Alors, la 787B n°55 accuse du retard mais suit le rythme des leaders, à plus de 211 km/h de moyenne. Au début de la nuit, la n°55 est 4e. La 787 n°56 est un peu décrochée mais progresse. Partie 30e, elle est 13e alors que le soleil se couche.
Herbert, Weidler et Gachot sont sur le podium au cœur de la nuit. A mi-course, ils ont déjà couvert un tour de plus que la vainqueur 1990, preuve que le rythme de 1991 est soutenu. La nuit apporte des problèmes chez Mercedes-Benz (notamment de boîte de vitesses) tandis que la Porsche menée par Henri Pescarolo abandonne au petit matin. La Mazda n°55 ? Elle est 2e. La pause déjeuner est marquée par les difficultés de la Mercedes n°1 alors en tête. Support d'alternateur cassé, rupture de la courroie de pompe à eau, surchauffe.... Dans les stands, l'Allemande blessée est réparée. La Mazda n°55 prend le commandement à 13 h 00. Elle ne le quittera plus. La 787B ne passe pas la ligne mais termine au parc fermé directement, le drapeau étant "abaissé" alors que Johnny Herbert est encore à Arnage et la foule envahissant la piste.
La victoire de Mazda est-elle une victoire par défaut face à des problèmes techniques rencontrés par les principaux opposants ? En partie. Mais pas seulement. En effet, la Mazda n°55 victorieuse s'est hissée dans le Top 5 dès la 5e heure de course.
La Mazda victorieuse s'impose à une moyenne de 213,58 km/h avec une consommation à peine avouable aujourd'hui de 51,881 litres pour 100 km.
Elle est devenue la première création japonaise à s'imposer au Mans, et sans doute pour toujours la seule voiture à moteur rotatif. La 787B est devenue une icône pour son bruit si particulier, ses couleurs si visibles et cette victoire imprévisible, mettant fin à une domination allemande et anglaise de l'épreuve.