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Immersion aux 24 Heures du Mans à huis clos


Le huis clos. Une situation très particulière qui donne à cet événement une tonalité unique, étrange. Je fais partie des "heureux" élus à pouvoir accéder à l'épreuve. Je suis rédacteur web freelance et je participe - comme depuis 2015 - à la création de contenus pour le site officiel des 24 Heures du Mans.

 Précision : je ne suis pas salarié de l'Automobile Club de l'Ouest (ACO). Je suis indépendant, créateur de contenus depuis plus de 10 ans. Cet article est une vision personnelle. Elle n'engage pas l'ACO. 

No Mans land

Désert. En arrivant au circuit, on découvre un site vide ou presque. En réalité, la configuration des lieux est inédite. Cela ne ressemble pas à la Journée Test, pendant laquelle le circuit n'est qu'en partie accessible et le public assez peu nombreux. Cela ne ressemble pas à une journée "classique" de la semaine mancelle non plus, car les spectateurs sont absents.

Chaque accès au circuit est ouvert avec des contrôleurs, du personnel de sécurité, des gendarmes. Chaque portion de route qui est habituellement surveillée l'est aussi. Tout est "presque" comme d'habitude. Comme une veillée d'arme, j'ai l'impression d'évoluer dans un décor qui n'attend que le feu vert pour accueillir du monde. Un peu comme si je faisais un dernier tour tôt le matin dans un parc d'attraction avant qu'il n'ouvre au public. Ce n'est pourtant pas une répétition.

Le S de la Forêt, déserté - photo Toyota Gazoo Racing

Personne. Enfin, si, le paddock est animé. Ne croyez pas que tout soit comme d'habitude. Les accès sont très réglementés. En temps normal, nous (journalistes) pouvons aller dans les box et dans les hospitalités des équipes. Une liberté indispensable pour réaliser des interview, échanger de manière informelle ou au contraire mener des entretiens complets. Cette année, mon chemin est tracé. De ma voiture je me dirige vers la salle de presse. Elle constitue l'unique salle que je peux fréquenter.

Pour échanger avec des pilotes ou des responsables d'équipe, il faut organiser une rencontre dans une salle dédiée (des loges, vides, sont aménagées pour cela). Il est nécessaire de réserver un créneau horaire. Chacun se trouve derrière une table, à bonne distance, après un bon lavage de mains en guise d'introduction.

Les masques ? Splendide !!!!

Ah oui, je ne vous ai pas parlé du masque. J'ai oublié. Normal car en fait, il est sur mon visage tout le temps. Il est devenu mon prolongement. De l'entrée du circuit le matin (avec contrôle de température), jusqu'à la sortie le soir, je porte un masque. En salle de presse, en bord de piste, dans le paddock, partout, tout le monde est masqué. Une consigne bien respectée, tant par les participants que les officiels. J'ai des masques chirurgicaux fournis par l'organisateur. Certains ont la coquetterie de disposer de masques "officiels" avec le logo des 24 Heures du Mans.

Et les abords du circuit ? Ils sont déserts, et surtout inaccessibles. Les tribunes sont fermées, la zone "populaire" condamnée. Les enceintes générales ne sont pas accessibles du tout. Ni pour vous ni pour qui que ce soit. Le bord de piste est accessible pour les photographes, dont le nombre est très restreint. Une soixantaine de photographes sont accrédités, un peu moins pour la presse écrite. A titre de comparaison, il y a régulièrement un millier de "médias" accrédités.

La salle de presse est vide. Pourtant, l'Automobile Club de l'Ouest (ACO) s'ouvre bien plus que la Formule 1. La discipline reine restreint énormément les médias autorisés (moins d'une dizaine de journalistes internationaux seront autorisés par exemple à Sochi).

Un huis clos avant la reprise de la fête

Ce huis clos est un déchirement pour le personnel de l'ACO avec qui j'ai pu échanger. La volonté a toujours été de privilégier les spectateurs, de tout faire pour que la course se déroule normalement. Mais il faut composer avec la loi et les contraintes règlementaires. Rapidement, trois options ont émergé.

  • Maintenir l'épreuve dans des conditions classiques. C'était le premier choix lorsque, souvenez-vous, nous pensions tous que l'épidémie aurait disparue après l'été. C'est ce qui explique ce changement de date.
  • Organiser des "bulles" de 5 000 spectateurs. Puisque cette jauge existe, il était prévu de couper les accès au circuit et de compartimenter les spectateurs. Complexe. Un casse-tête. Auriez-vous accepté de payer 80 € pour un accès tronqué ? Sinon, quel prix ? Et avec quelle logistique ? Imaginez le plan de circulation, les accès au circuit en voiture...
  • Le huis clos. Il ne plait à personne. L'âme du Mans, c'est la communion entre acteurs et spectateurs. Le huis clos a vite été privilégié pour que l'épreuve existe. Une année sans édition aurait été dangereux.

J'ai la sensation de faire partie des privilégiés.  Je devine la frustration de celles et ceux qui ne sont pas là. Chaque instant, nous pensons à vous . Le nez vissé sur les écrans et sur le clavier pour vous raconter tout ce qui se passe, je vois les tribunes vides.

Ne croyez pas que, dans le grand bâtiment au-dessus des stands, nous soyons dans une tour d'ivoire. J'ai passé des années au Mans en spectateur avant de devenir journaliste. J'arpente tous les ans les "zones public". La passion qui nous anime tous, cet amour de l'endurance, je l'ai, comme vous.

J'aime passer dans le tunnel entre le paddock et le virage Ford, avec les Anglais qui chantent, des gens à contre-sens et une (forte) odeur d'urine. J'aime me poser à la Dunlop dans les tribunes (aux essais) pour voir le spectacle. J'aime quand mon père me lançait, gamin : "ça va, tu as assez de force pour aller jusqu'au Tertre Rouge ?" alors qu'il était 20 heures.

Regardons ensemble vers 2021, en espérant que tout sera revenu à la normale. On s'y verra, je l'espère.

Geoffroy, votre envoyé spécial dans ce huis clos.

Dites, si vous êtes encore là. Mes articles sont sur le site officiel : 24h-lemans.com. Allez donc faire un tour et suivre le live. L'équipe fait un boulot de dingue pour vous faire vivre cette édition même à distance.

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