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Commissaires de piste : les gardiens de la légende !


Les 60 voitures engagées aux 24 Heures du Mans 2018 ainsi que les 180 pilotes qui en prendront le volant sont connus. Pour qu'ils puissent nous offrir une nouvelle édition mémorable, ces derniers vont compter sur l'attention, les gestes et les secours de centaines de commissaires de piste. Au Mans comme sur tous les événements liés au sport-automobile, des commissaires de piste sont là pour veiller à la sécurité des pilotes, au respect des règles. Des gardiens du spectacle et de sa qualité.

Au Mans, c'est une véritable armée de l'ombre, drapée de orange qui est mobilisée. Les commissaires du grand Circuit des 24 Heures du Mans sont dignes des pompiers de Paris. Ils excellent dans leur exercice, à haut risque. Entretien avec trois commissaires qui officieront cette année encore en Sarthe.

Julien a débuté en 2006, Le Mans fut sa première course comme commissaire "Autant dire un grand baptême du feu !". Pour Malory idem, 2006 fut la première saison. "J’ai eu la chance de débuter par la journée test des 24 Heures du Mans au poste en amont d’Indianapolis". Enfin, pour Timothée, les débuts sont plus récents. "J’ai pu participer aux 24 Heures du Mans dès ma première saison, en 2012 avec l’arrivée de Toyota. Après seulement 3 mois d’expérience de stagiaire, un vrai bonheur !"

Ces trois commissaires de piste bénévoles tirent leur passion du Mans de leur enfance. "Je suis né au Mans a la clinique de l'époque qui s’appelait  le Tertre Rouge, déjà un signe pour la suite" commente Julien. Ensuite chaque mois de juin ma famille montait depuis Clermont-Ferrand ou venait depuis Paris pour venir assister au 24 Heures du Mans. A 18 ans j'ai voulu vivre ma passion de l'autre coté du grillage et ça fait 13 ans que cela dure !". Pour Timothée, la trajectoire est proche : "J’ai toujours su que je voulais être commissaire. J’ai suivi mon père qui l’est depuis maintenant plus de 20 ans. J’ai grandi « Le Mans », j’ai rêvé « Le Mans » et maintenant je peux vivre « Le Mans » (bien qu’il y ait beaucoup d’autres championnats que j’apprécie). J’ai assisté à mes premières 24 heures du Mans en 2000, à l’âge de 4 ans ! Depuis 2000, je n’ai jamais raté une seule édition. J’ai donc cette passion depuis tout petit et j’ai aujourd’hui la chance de la vivre".

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Malory confie, elle, être venue à l'endurance progressivement. "Je me suis intéressée aux sports mécaniques très jeune, vers 5-6 ans, d’abord par la Formule 1. J’étais une inconditionnelle de Michael Schumacher. Puis vers l’âge de 12 ans en compagnie de ma famille habitant en Sarthe j’ai eu l’opportunité de me rendre sur le circuit et donc de découvrir les 24 Heures du Mans. Une histoire d’amour naissait. L’ambiance, la beauté des machines et du spectacle, et une admiration pour ces pilotes hors normes".

J’ai grandi « Le Mans », j’ai rêvé « Le Mans » et maintenant je peux vivre « Le Mans »

Les commissaires de piste sont aux premières loges et vivent la course à proximité des équipes. Leur demander un souvenir marquant est vain. Leur mémoire est pleine de bons et de mauvais moments. Timothée évoque 2016. "Si j’avais un vrai moment fort à donner, je pense que ce serait, en toute logique, l’arrivée de l’édition 2016 ! Je rêvais tant d’une victoire japonaise, et elle était enfin là ! Mais quand nous sommes allés applaudir les pilotes en bord de piste, la Toyota n’est jamais passée !". Pour Malory, c'est une sortie de piste violente qui lui vient en mémoire : "En 2009, nous avons vécu un gros crash au sein de mon poste de l’époque. Je me trouvais poste 131, virages Ford, où se trouve la décélération des stands. deux concurrents se sont accrochés à l’entrée des esses. A cet endroit les concurrents ont encore une vitesse avoisinant les 200 km/h. La LMP2 impliquée a perdu une roue qui est devenue incontrôlable. Cette dernière a survolé les gars de l’équipe qui ont eu à peine le temps de se mettre en protection. Il n’y a pas eu de blessés ni chez nous ni dans les spectateurs fort heureusement".

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Julien évoque lui une anecdote avec un pilote, Manu Collard, lors de l’édition 2012. "Il tombe en panne a notre poste quand il était sur la Pescarolo 03 au warm-up. Je lui demande ce qu'il se passe puis il me dit que le moteur a de gros soucis. Une fois descendu de l'auto je lui propose une bouteille d'eau et là il me sort : J'en ai tellement marre que là j'ai besoin d'une bonne bière fraîche".

A mes yeux, ce qui illustre le plus cet esprit de famille, c’est le départ des 24 Heures du Mans, où toutes les équipes de commissaires du poste sont présentes, tout le monde se prend dans les bras, se souhaite bon courage pour les deux prochains tours d’horloge.

Les commissaires semblent former une "famille", on sent un esprit de camaraderie, d'entraide, de partage. Une vision palpable et réelle selon les récits de nos trois passionnés. Timothée évoque parfaitement ce point : "Lorsque vous êtes commissaire de piste, vous avez besoin de pouvoir faire confiance à vos équipiers car ce sont eux qui vous protègent du danger (et inversement). Je pense que c’est aussi ce qui nous rapproche. Je pense qu’il n’y a pas de secret, pour être efficace sur la piste, il faut savoir communiquer. Et pour communiquer, cet esprit de camaraderie est essentiel. Lorsque nous sommes sur une épreuve, nous traversons les mêmes moments de bonheur ou les mêmes difficultés, et nous sommes tous là pour la même chose : partager notre passion. A mes yeux, ce qui illustre le plus cet esprit de famille, c’est le départ des 24 Heures du Mans, où toutes les équipes de commissaires du poste sont présentes, tout le monde se prend dans les bras, se souhaite bon courage pour les deux prochains tours d’horloge. A cet instant nous savons tous que ça va être fatiguant, difficile mais qu’on peut tous compter les uns sur les autres et que nous allons assister à l’une des plus belles courses du monde". Même vision pour Malory : "Une équipe c’est une famille dont chaque membre veille avec bienveillance sur les autres. Nous rions, vibrons, pleurons même parfois ensemble. Les courses nous ont unis. Lorsque nous avons froid ou sommes mouillés nous sommes tous dans le même bateau et seuls des passionnés impliqués comme nous le sommes peuvent le comprendre. Une épreuve d’endurance est éprouvante physiquement, nous dormons peu, il y a de l’adrénaline donc nous nous comprenons et sommes donc très soudés. Car tout ceci, cette passion, elle ne se raconte pas, elle se vit".

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L'ambiance festive, les échanges et les rires font partie de la vie des campings de commissaires. Professionnels en bord de piste, ils profitent des temps de partage en dehors. Des anecdotes sur ces "à côté", il en existe des milliers. Julien se lance : "Pendant les 24 Heures du Mans 2011, on reçoit la visite d'un monsieur, les italiens le connaissait mais pas nous. Puis Lloris, un des italiens, vient nous le présenter. Il s'agissait du Directeur du circuit d'Imola qui était venu nous remercier d’accueillir ses compatriotes dans de très bonnes conditions. Il nous a dit avoir de très bons retours sur le poste et l'ambiance et il nous a invité a Imola en retour !"

Malory a aussi des souvenirs en dehors de la piste inédits : "Le baptême lorsque l’on arrive dans une équipe, c'est un truc à part. Je m’en souviendrai toute ma vie. À la fin de la première journée au sein de l’équipe, l’un de mes coéquipiers m’a traîné par terre dans la boue côté pile et côté face ! Je n’avais à l’époque qu’une seule combinaison et elle était immaculée de boue... le week-end n’était pas terminé! Un beau souvenir qui me donne encore un rictus au coin des lèvres. Je me souviens aussi que lorsque j’ai intégré l’équipe en 2006 il y avait une tradition. Nous partagions un repas où chacun apportait quelques chose et nous mettions en commun. La fin de ce repas se terminait systématiquement par une chanson et une chorégraphie, « le père Abraham ». Mon regretté chef de poste était l’initiateur de ceci. Cela nous a valu tant de beaux souvenirs ensemble".

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Et le danger ? Des accidents, les commissaires en ont eu, et certains ne se sont pas relevés, au Mans comme ailleurs. "Le danger reste présent c’est vrai, nous ne sommes à l’abri de rien. Bien que nous ayons conscience de cela, nous ne pouvons non plus en faire obsession. J’entends par là que le risque 0 n’existe pas, il est évident que nous devons en permanence faire attention à notre sécurité et celle des camarades en appliquant les mesures de protection nécessaire, mais nous ne devons pas tomber dans la paranoïa" explique Malory. "Aujourd’hui le danger n’est pas un frein pour nous, sécurité et passion sont fort heureusement accommodables".

Je pense que le risque est toujours présent. Le danger, c’est l’inattention.

Timothée nous raconte le fonctionnement des interventions, et la notion du danger. "Je pense que le risque est toujours présent. Le danger, c’est l’inattention. Le souci en bord de piste c’est que la vitesse c’est impressionnant au début, mais on a tendance à s’y habituer vite, et c’est là que ça peut devenir dangereux. Les règles sont simples : le signaleur au drapeau jaune regarde le poste commissaire suivant. Il est couvert par son binôme au bleu, qui regarde les voitures qui arrivent. Comme ça nous avons des yeux partout. C’est la façon la plus efficace pour prévenir le danger. Pour ce qui est des interventions, la direction de course possède des caméras pour donner des indications sur le trafic, le chef d’intervention chaperonne et les collègues surveillent les voitures qui arrivent. Il y a forcément toujours du danger mais avec la signalisation mise en place et en restant attentif, nous pouvons rester efficaces dans nos interventions. Il est vrai qu’on se fait parfois de jolies frayeurs, mais je pense que c’est aussi ce qui nous rappelle que le danger est omniprésent et nous permet de toujours rester sur nos gardes". A Julien le mot de la fin : "Le danger est présent à chaque fois, mais on peut compter les uns sur les autres".

Photographe en bord de piste aux 24 Heures du Mans et sur d'autres circuits depuis 2007, je côtoie les commissaires et salue avec cet article toutes celles et ceux qui vont encore une fois contribuer à la magie de la plus belle course au monde. Merci pour votre boulot, et au plaisir de vous croiser. 

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