Les deux marques françaises engagées dans la 92e édition des 24 Heures du Mans ont connu une course totalement anonyme. Si les Peugeot 9X8 ont vu l'arrivée, avec la #94 11e et la #93 12e, les Alpine A424 sont elles tombées en rade - panne moteur pour la #35 à Arnage - en début de soirée. Deux courses différentes, avec un résultat équivalent : une invisibilité ou presque à l'occasion de la plus grande course d'endurance de l'année. Des décisions devront être prises pour éviter un tel gâchis l'an prochain.
Sommaire
L'abandon en prime time pour Alpine
À 20 h 46, la course de la #35 s'arrête lorsque Ferdinand Habsburg est victime d’une casse moteur. La voiture sœur poursuit en étant proche du top 10, d’abord avec Matthieu Vaxiviere, puis Nicolas Lapierre à l’approche de la nuit mancelle. Victime du même problème, la #36 rentre au stand à 21 h 36. Abandon.
C'est donc une déconvenue en plein prime time, alors que les spectateurs restés chez eux, devant leur écran, regardent Le Mans, qu'Alpine a connu. Un paradoxe. Comme un pied de nez à une marque qui place la communication avant le sport, et qui veut que l'on parle d'elle à tout prix. Avec ce double abandon Alpine n'a pas rassuré ses supporters. Ni les plus jeunes fans de la marque arrivés de la F1 en espérant un week-end plus clément. Ni les plus fins connaisseurs du A fléché qui, sachant que les A424 n'ont pas grand chose de l'ADN de Jean Rédélé, veulent tout de même le meilleur pour les Bleus.
Cet écran de fumée ne peut pas durer, car la victoire ne viendra pas des Stories, des Réels et des Likes.
Alpine était très présent toute la semaine au Mans. Avec Zinédine Zidane comme Starter, avec beaucoup de navettes pour des invités, avec des VIP. Esteban Ocon, Pierre Gasly ou encore Sophia Floersch étaient là en guise d'ambassadeurs de luxe, ce qui attire les objectifs des caméras. On a vu la présentation de l'A290, la R5 électrique à la sauce sportive, puis l'Alpenglow hydrogène samedi en piste. Ouf.
La marque utilise les mêmes codes que pour sa présence en F1, avec un temps de présence élevé dans les médias et sur les réseaux sociaux, lié aux influenceurs, à ses ambassadeurs, partenaires et aux opérations de marketing.
Mais cet écran de fumée ne peut pas durer, car la victoire ne viendra pas des Stories, des Réels et des Likes. Des points de convergence entre les disciplines sont à trouver, mais sur le terrain sportif, pas sur la com'. Osez des équipages avec les pilotes F1 ! Poussez encore les rapprochements entre les livrées.
Une Hypercar saine, efficace, trahie seulement par sa mécanique
Sur la piste, les performances individuelles ont un temps fait croire à un exploit. En 3'24''872, Paul-Loup Chatin a été le plus rapide sur la #35, lui qui avait décroché l'Hyperpole LMP2 en 2023. Nicolas Lapierre, en 3'25''278, a lui été le plus rapide de la #36, grâce à son énorme expérience de l'épreuve. Mais le bloc Mecachrome a décidé de ne pas aller plus loin que le début de soirée. Une surprise ? Pour Alpine, apparemment.
Ce bloc issu de la F2, dont on nous dit qu'il a bien entendu été adapté à l'endurance sans en dévoiler plus, formait tout de même à l'évidence une base faible, pas fiable. La réputation récente de ce bloc Mecachrome est catastrophique et faisait craindre le pire pour les observateurs avisés. Chez Alpine, on croyait à l'exploit. Ou alors, on a fermé les yeux. Le Mans n'est pas un banc d'essai. La réalité s'est rappelée à la marque française, durement.
Nicolas Lapierre parlait de ce bloc dans les colonnes d'Auto Hebdo avant Le Mans « La structure est la même mais tous les composants internes ont été changés (par rapport au moteur des F2). Et l’une des forces d’Alpine, c’est que nous pouvons nous appuyer sur de nombreux bancs d’essai à Viry-Châtillon (également le département moteur du programme F1. Ndlr). Nous avons été en mesure de boucler des simulations de course de 30 heures. Nous sommes assez tranquilles sur le plan moteur. »
Chez Alpine, on croyait à l'exploit. Ou alors, on a fermé les yeux.
En novembre dernier, Alpine espérait boucler 5 400 km avec son A424 lors d’un test d’Endurance de 30 heures organisé sur le circuit de Motorland Aragón en Espagne. L’Hypercar française ne put en avaler que 5 027 km, notamment en raison de problème de turbo, d’un souci électrique, et de fuite d’eau et d’huile.
Dommage car les points positifs sont là. L'équipe de Philippe SInault en charge de l'engagement sait faire gagner des voitures et exploiter au mieux chaque ressource (il suffit de regarder le palmarès si dense glané en monoplace et depuis 10 ans en endurance). La voiture en elle-même semble bien née, avec un châssis efficace, un comportement qui semble bon, le tout via le travail d'Oreca. Travailler avec Oreca est un privilège, et me laisse à penser que les A424 ont tout ce qu'il faut pour gagner. Le moteur est - comme en F1 - le point faible évident.
Ça va trancher chérie
Prenons 1 minute pour que vous compreniez bien l'imbrication des différents acteurs : Alpine Racing a la maitrise d’ouvrage du projet, Oreca est maître d’œuvre, Signatech gère l’exploitation. Signatech assure le développement de la voiture pour Alpine Racing, avec le soutien d’Oreca.
Malheureusement, c'est donc bien la marque Alpine qui est aux commandes et si on "tranche dans le vif", cela risque de ne pas régler le problème. Des rumeurs d'une fin de contrat avec Signatech ont circulé dans le paddock. Je n'ose les croire, tant ce que fait Sinault avec ses hommes et ses femmes est exceptionnel. Le problème, on le sait, ne vient pas de là.
Les pilotes ? J'ai déjà largement expliqué mon sentiment à leur propos, la line-up étant un aggloméra d'une star, de pilotes maison, de jeunes loups et d'un gentlemen talentueux. Je juge cette association plus faible que chez les autres constructeurs, mais on ne peut ici rien leur reprocher.
Et ce moteur alors ? Je ne veux pas ici pointer Mecachrome. Les images du Mans suffisent. La meilleure option serait de reprendre en interne, à Viry, le développement d'un bloc dans la plus pure tradition de la maison Renault Sport. Mais ce doux rêve ne risque pas d'être exaucé. En F1, l'écurie Alpine serait en discussion avec plusieurs motoristes, alors que l'idée d'abandonner le moteur Renault est évoquée. La fuite du savoir-faire, et les dérives du "naming" vont peut-être mener à la présence d'une équipe Alpine en F1 sans bloc français. Tout comme l'Alpine A424 ne possède aucune pièce de la marque de Dieppe.
La plaie béante est ouverte depuis le début de saison 2024 en F1. Le volet endurance risque de ne pas bénéficier d'une clairvoyance dans la prise de décision avec Bruno Famin aux commandes.
Déjà sous-financé on l'imagine par rapport aux autres constructeurs, le projet endurance pourrait-il sauter ? On ne l'espère pas. La voiture est encore très jeune, avec des débuts aux 1812 km du Qatar. Mais déjà on sent que des décisions vont devoir être prises. On espère qu'elles ne seront pas trop radicales, qu'elles se feront avec mesure.
Les larmes des mécaniciens après l'abandon prouvent l'envie de bien faire, de porter un projet français haut dans la lignée des 24 Heures du Mans 1978.
La passion que suscite la marque, et les bonnes volontés de la plupart des acteurs du projet Alpine méritent mieux qu'une approche trop tournée sur la communication. Les larmes des mécaniciens après l'abandon prouvent l'envie de bien faire, de porter un projet français haut dans la lignée des 24 Heures du Mans 1978. On espère qu'Alpine donnera à ses partenaires toute les billes nécessaires pour y parvenir.