En s'imposant samedi à l'occasion des 8 Heures de Bahreïn, septième et dernière manche de la saison du Championnat du Monde d'Endurance (WEC), Sébastien Buemi, Brendon Hartley et Ryo Hirakawa ont offert à Toyota une nouvelle victoire. La sixième de l'année, venant boucler un exercice presque parfait.
Toyota termine la saison 2023 avec une sixième couronne constructeur en WEC, la cinquième de rang, la troisième en Hypercar. Sébastien Buemi, Brendon Hartley et Ryo Hirakawa décrochent leur deuxième titre ensemble après celui de 2022, et prolongent la série victorieuse des pilotes de la marque nippone (qui court depuis 2018). Le constructeur japonais n'a pas tremblé, et a su enchaîner les succès, depuis la manche inaugurale des 1000 Miles de Sebring jusqu'au dénouement à Fuji puis Bahreïn.
Une domination forte, avec Le Mans comme seule blessure
À chaque course, l'une des deux GR010 Hybrid a été victorieuse ou dans le tour du vainqueur. Jamais plus loin. Mais la domination n'a pas été totale, avec les 24 Heures du Mans comme seul accroc.L'édition du centenaire restera comme une blessure pour le constructeur.
Akio Toyoda, qui a pris la présidence du groupe en juin 2009, petit fils du fondateur de Toyota, Kiichiro Toyoda, n'a pas caché son désarroi et sa déception en juin dernier. Devant composer avec une balance de performance ajustée en dernière minute, critiquable mais pas critiquée devant les médias, il a vu son équipe s'incliner devant Ferrari.
En coulisses, ce jeu avec les règles n'a pas plu. Mais Toyota se projette déjà plus loin, et mise notamment sur la technologie hydrogène pour envisager le renouveau de son engagement en endurance.
La domination outrageuse, brutale, que Toyota a su imposer en 2023, ne durera pas.
Car c'est une réalité de l'endurance moderne, la domination outrageuse, brutale, que Toyota a su imposer en 2023, ne durera pas. Dans l'histoire récente de notre sport, on a pu assister à des dominations pareilles. Les années Audi, à partir de 2000, avec des éditions parfois longues, très longues. Les années Porsche avec les Group C, devenues cultes avec le temps, mais relativement monotones si l'on regarde seulement les résultats bruts, avec un chapelet de victoires pour les 956 et 962.
Les 8 Heures de Bahreïn 2023 marquent la fin d'un chapitre
Aujourd'hui, tout est différent. L'Automobile Club de l'Ouest (ACO) et la Fédération Internationale de l'Automobile (FIA) ont dans leur manche un atout majeur : la fameuse balance de performance (BoP). Elle n'est pas là pour permettre au meilleur de gagner grâce à la supériorité de son matériel et de sa technologie. Enfin, si, mais un temps. Ce temps est à mon avis révolu, et les 8 Heures de Bahreïn 2023 marquent la fin d'un chapitre. Le rôle de la BoP est de permettre au meilleur de gagner en exploitant ce dont il dispose, avec une "équité" entre les concurrents. Mais cette équité, cet équilibre, si difficile à obtenir dans un sport mécanique, est faillible. Et tant mieux.
Toyota possède une expérience de plus de 10 ans d'engagement au top niveau de l'endurance prototypes, sans discontinuer. La masse d'informations que possède le constructeur, sa connaissance poussée dans tous les domaines, de la mécanique à l'aérodynamique en passant par la science de la course, lui donne aujourd'hui un avantage clé. Mais la BoP peut (et doit) l'effacer en partie, pour nous permettre d'avoir des courses avec du spectacle. En 2024, il faut s'attendre à voir les cartes redistribuées et ne plus assister à un défilé comme à la parade des Hypercar #7 et #8.
Le législateur a le pouvoir d'ajuster les performances des voitures et de donner à certains un avantage qu'ils n'ont pas su acquérir seuls. On peut regretter ce fonctionnement, qui ne valorise pas la recherche de la performance dans ce qu'elle a de plus pur. Toutefois, c'est la garantie aujourd'hui d'avoir un plateau qui compte parmi les plus beaux que l'on puisse espérer, avec un intérêt renouvelé de la part des constructeurs pour aller décrocher Le Mans.
C'est cette BoP, et cette recherche du compromis, qui va certes à l'encontre de ce qui guide l'endurance depuis toujours, qui va nous permettre en 2024 de voir une Peugeot 9X8 revue se battre avec une Alpine, une Lamborghini, des Porsche et autres Cadillac.
Sans BoP, et la garantie d'offrir aux constructeurs une convergence dans les performances, jamais BMW, Cadillac, Porsche ou encore Peugeot n'auraient replongé !
Il est drôle de constater qu'alors que la concurrence était en cette saison 2023 plus dynamique que jamais, avec un nombre de concurrents en catégorie reine inédit, Toyota a bouclé sa saison la plus dominante (avec 2018-2019 et 2021). En 2022, la marque était tombée à deux reprises en six courses face à Alpine. Pareil en 2019-2020, avec deux succès en six courses pour Rebellion Racing. Lorsque la concurrence venait d'Audi et de Porsche, les victoires étaient moins nombreuses : 5 sur 9 possibles en 2017, 1 sur 9 possibles en 2016, aucune en 8 courses en 2015, 5 sur 8 en 2014 et enfin 2 sur 8 en 2013 et 3 sur 8 en 2012.
Hier critiqué pour ne gagner que quand la concurrence est absente, après les départs de Audi en 2016 et Porsche en 2017, Toyota peut aujourd'hui se vanter de briller même face aux meilleurs constructeurs de la discipline ! Mais 2024 ouvre un nouveau chapitre, qui je le souhaite sera moins dominateur. L'endurance en a besoin, pour que la diversité de la catégorie Hypercar soit réelle, avec des vainqueurs multiples, pas seulement en IMSA.
Crédit photo : Toyota Gazoo Racing / Michelin