Depuis 1980 et la victoire héroïque de Jean Rondeau, Porsche domine son sujet en Sarthe. Les 956, que les privés peuvent engager, pullulent sur les grilles de départ et les 24 Heures du Mans 1985 n’y font pas exception.
Vainqueur de l’édition 1984, Joest Racing est en pleine possession de ses moyens. Depuis plusieurs années maintenant, l’équipe allemande regarde tout le monde droit dans les yeux, sans trembler. La formation remet son titre en jeu, avec deux équipages qui n’ont étrangement pas l’air si redoutables. Henri Pescarolo ne fait plus partie de l’aventure, et il en va de même pour les pointures que sont Jean-Louis Schlesser et Stefan Johansson. Klaus Ludwig est de retour sur la même 956B, accompagné de Louis Krages, se faisant appeler « John Winter » afin de ne pas se faire reconnaître par ses proches. L’Italien Paolo Barilla complète un trio timide sur le papier, en comparaison des équipages Porsche officiels. Car oui, en cette année 1985, Porsche est de retour officiellement en Sarthe avec un nouveau monstre : la 962C. La 962C diffère légèrement de la 956 par son empattement allongé. Le fidèle 6 cylindres à plat retentit toujours derrière les oreilles des pilotes. Et quels pilotes.
Les plus grosses pointures se sont réunies pour faire briller la firme de Zuffenhausen. Jacky Ickx et Jochen Mass se partagent la n°1, tandis que Hans Joachim Stuck et Derek Bell emmènent la n°2. La dernière voiture, en support, est pilotée par le trio Holbert/Schuppan/Watson.
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L’essence, le nerf de la guerre
Avant le départ de ces 24 Heures du Mans 1985, personne ne voit une autre marque que Porsche remporter la course. La domination allemande passe mal auprès des spectateurs. Lancia, avec ses LC2, fait bonne impression sur le papier, mais ne semble pas en mesure d’aller chercher les 956B et 962C. Dans leur rangs, ils comptent pourtant « Pesca », Mauro Baldi, Bob Wollek, Lucio Cesario ou encore Alessandro Nannini, des pilotes rapides qui peuvent aller au bout.
Sponsorisées par Martini et motorisées par Ferrari, elles consomment plus que leurs rivales allemandes. La consommation est au cœur de toutes les discussions. Le règlement se durcit d’années en années, et la victoire dépendra de la fréquence des arrêts aux stands : l’allocation de carburant est limitée à 2 210 litres pour les Groupe C.
Lors des qualifications, la course semble déjà jouée. Et les spectateurs assistent à l’un des tours les plus incroyables jamais réalisés sur le circuit. Sur sa 962C, Hans Joachim Stuck avale le tracé en 3’14’’88. Oui, vous avez bien lu. Une moyenne horaire de 251,712 km/h, qui ne sera battue qu’en 2017 par Kamui Kobayashi et sa Toyota TS050 Hybrid. Cela ne laisse que peu de présage pour la course. Mais en réalité, beaucoup d’équipes peuvent prétendent à la victoire finale. Outre Lancia, énormément de privés font courir des Porsche : on en dénombre pas moins de 13 dans la seule catégorie C1.
L’abaissement du drapeau à damier offre un drôle de spectacle aux 150 000 personnes dans les gradins. Jacky Ickx, habitué de l’épreuve, ralentit frénétiquement. La course à la consommation à d’ores et déjà débuté. Klaus Ludwig, niché derrière Bob Wollek et sa Lancia dans les Hunaudières, économise de fait lui aussi le précieux liquide. Intelligent, Ludwig fait mine de manquer de vitesse afin de ne pas dépasser le français, ainsi il reste à l’aspiration après Mulsanne et économise toujours plus de carburant. Après deux tours, la meilleure Porsche usine ne pointe qu’à la huitième place. Cette étrange course laisse la place à des surprises, des concurrents qui eux ne s’économisent pas le moins du monde : une EMKA C84/1 Aston Martin joue les trouble-fête au milieu des leaders.
Petits arrangements entre amis ?
Quelques tours plus tard, Wollek lève le pied. Ludwig le passe, et ne le reverra d’ailleurs plus de l’épreuve. Désormais deux possibilités : soit les Porsche Joest se grillent en ayant un rythme trop élevé, soit les Porsche officielles sont clairement trop lentes. La réponse à cette énigme ne tarde pas à arriver. Non seulement les 956B sont plus rapides, mais elles ne consomment pas beaucoup. Les Porsche Rothmans subissent leurs premiers déboires, quand l’équipage Ickx/Mass se voit ralenti en tout début de course. Ça ne sent pas bon pour l’écurie usine…
D’autant plus que les privés ne leur facilitent pas la tâche. La Porsche 956 du Richard Lloyd Racing, pilotée par le trio entièrement britannique Lloyd/Palmer/Weaver se retrouve en tête, de nouveau suivie de Ludwig. Les deux voitures se suivent, se doublent, mais très proprement. Le public, étonné, s’aperçoit qu’il s’agit en réalité d’une stratégie consistant à consommer moins d’essence ! En effet, en se plaçant à tour de rôle en tête, les voitures se couvrent entre elles et bénéficient d’une aspiration efficace, idéal pour économiser l’or noir. Pendant que John Winter nie tout accord préalable entre les deux équipes, Jacky Ickx claque pendule sur pendule – une de ces choses dont il a le secret - donnant tout pour remonter suite à son problème d’allumage. Un tour en 3’25’’01 vient parachever un excellent relai. Cet effort sera malheureusement vain, car la boîte de vitesses casse à son tour.
La course est interrompue par la voiture de sécurité pendant plus de trente minutes, après que Jean-Claude Andruet se soit littéralement explosé dans les Hunaudières au volant de sa WM Peugeot P83B. Plus de peur que de mal, la légende des rallyes s’en sort indemne.
24 Heures du Mans 1985, final en famille
La course se calme. Les positions se figent, la magie du Mans opère. La 956 du Richard Lloyd Racing connaît ses premiers ennuis, tandis que la n°7 du Joest Racing passe seule en tête. C’est le tournant de la course. Un peu avant la tombée de la nuit majestueuse, elle fend l’air encore chaud, caractéristique de l’ambiance mancelle, seule. Sauf ennui mécanique, elle ne peut se faire rejoindre.
À la mi-course, la Porsche usine n°3 pointe à la deuxième place et un gros problème technique a raison de la Lancia LC2 n°4, la seule encore dans le rythme. Pendant ce temps là, inlassablement, la voiture de tête empile les tours. La dernière Porsche 962C usine en vie perd deux tours de plus, marquant la fin de l’équipe Rothmans. Du début à la fin, l’équipe pourtant composé de vétérans aura été battue à plate couture par Joest, en rapidité comme en fiabilité.
Pendant que les spectateurs quittent d’ores et déjà l’enceinte tant le suspens est mort, la Porsche du Richard Lloyd remonte et reprend une deuxième place bien méritée. Klaus Ludwig, Paolo Barilla et John Winter – qui conduit à peine plus d’une heure au total - remportent cette édition des 24 Heures du Mans 1985 en ayant mené de la 3e à la 24e heure, cumulant 5 088 kilomètres au compteur. Pour l’anecdote, c’est exactement le même châssis et le même numéro qui remportèrent les 24 Heures en 1984 : le 956B-117 n°7, surnommé « lucky n°7 » (numéro 7 chanceux). Un numéro cher au Joest Racing, qui renforce son statut de meilleure équipe privée que notre belle épreuve ait connu.