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Cunningham, quand l’Amérique tombait amoureuse des 24 Heures du Mans


Le Mans force l’extravagance. Depuis 1923, aérodynamiciens, ingénieurs ou simples mécaniciens tentent de résoudre l’équation des 24 heures d'effort à fournir. Marquer les esprits tout en étant compétitif et innovant, telle est l’ambition de tout constructeur engagé. Un pari risqué, l’image de marque en otage. Illustration avec Briggs Cunningham qui a « remporté » les 24 Heures du Mans sans pour autant passer la ligne d’arrivée en tête.

Au Mans plus qu’ailleurs, les perdants sont célébrés, honorés, voire élevés au rang de héros. L’histoire de la classique mancelle n’est pas uniquement écrite par les vainqueurs, c’est une certitude. Briggs Cunningham est l’un de ces aventuriers modernes. Né en 1907 dans l’Ohio, Briggs jouit de l’immense fortune familiale. Son père était le fondateur de la Citizen Bank, mais également directeur de la Pennsylvania Railroad ou financier pour Procter & Gamble. Sa jeunesse est idyllique, malgré la mort de son père en 1912. Sa passion pour les sports mécaniques naît plus tard dans le temps.

Sa lune de miel, scellant le mariage avec Lucie Bedford – petite fille du fondateur de la Standard Oil -, l’emmène sur le vieux continent. Durant cette escapade, il tombe amoureux de la course automobile à l’occasion du Grand Prix de Monaco 1930. L’américain est piqué. Aussitôt de retour en terre natale, il enfile les gants de cuir et débute sa carrière. Cunningham, par son statut, se doit d’être patriote. Ainsi, il contribue massivement à l’éclosion du sport automobile organisé à l’échelle nationale. La Seconde Guerre mondiale stoppe momentanément son ascension sans pour autant le décourager.

En 1947, Briggs met enfin la main sur la totalité de la fortune familiale, en raison d’une clause dans le testament de son père. Son ambition se voit décuplée : il désire désormais construire ses propres voitures de course. Dans le viseur, les 24 Heures du Mans. Quelques américains avaient déjà essayé de conquérir les étroites routes sarthoises avant la guerre, sans grand succès. La dimension internationale de la course restait limitée à l’Europe.

Son vœu est d’engager l’une de ces « Fordillac », sorte d’hybrides châssis Ford / V8 Cadillac, qui marchaient bien en courses de côte. L’Automobile Club de l'Ouest refuse catégoriquement la chimère. Pas un problème pour Briggs S. Cunningham, qui opte donc pour un Coupé Type 61 Cadillac standard, accompagné d’un autre Type 61, remodelé pour l’occasion.

Les débuts de Cunningham au Mans avec Cadillac - photo Richard Prince/Cadillac
Les débuts de Cunningham au Mans avec Cadillac - photo Richard Prince/Cadillac

Profitant des faibles restrictions en matière de carrosserie, Cunningham transforme sa Cadillac en véritable attraction. L’appellation « Le Monstre » ne tarde pas à courir dans les titres d’époque, tant la philosophie « tank » - modèle de carrosserie aérodynamique popularisé par Chenard & Walcker et Bugatti - est poussée à son paroxysme.

Le Monstre aux cotés de la Cadillac DPI dans le banking de Daytona en 2017 - photo Richard Prince/Cadillac
Le Monstre aux cotés de la Cadillac DPI dans le banking de Daytona en 2017 - photo Richard Prince/Cadillac

Les Américaines pilotées par des duos 100% Américains terminent l’épreuve en 10e et 11e positions. Un résultat honorable, mais qui ne convient pas tout à fait au compétiteur acharné qu’est Briggs. Lui voit surtout l’Allard J2 à moteur Cadillac, victorieuse en catégorie 5001 à 8000 cm3, lui collant 20 tours. Rapidement, Le Mans devient une obsession. Fin 1950, les premiers modèles « maison » sortent des ateliers floridiens. Tout d’abord la Cunningham C-1 (jamais courue au Mans), puis la C2-R et la C-4R.

Le Monstre sous son meilleur angle. Ou pas - photo Richard Prince/Cadillac
Le Monstre sous son meilleur angle. Ou pas - photo Richard Prince/Cadillac

Ce dernier modèle fut le plus performant. Cunningham – accompagné de William Spear – termine 4e des 24 Heures du Mans 1952 à son bord avec la victoire en catégorie à la clé. Le moteur, sur une base V8 Chrysler 5.5L développant 300 chevaux, est plus performant. Briggs se donne les moyens, mais ne dépense pas sans compter. Le businessman suit toutes les transactions. Une anecdote rapporte que ce dernier était fermement impliqué dans sa comptabilité, si bien qu’il suivait tous les frais de moins d’un dollar !

Le début des années 1950 correspond à l’âge d’or de Cunningham en tant que constructeur. Le modèle C4-R est particulièrement bien né et triomphe aux 12 Heures de Sebring 1953. Un carrossier allemand se charge de caréner entièrement la voiture pour la rendre plus efficace et plus adaptée à l’endurance.

La C4-RK s’en sort bien sur les voies mancelles, mais pas plus que le cabriolet d’origine. Le public a adopté la firme, immédiatement reconnaissable grâce aux « bandes Cunningham », deux bandes bleues nuit courant verticalement sur les carrosseries blanches.

Cunningham C4R (ici un modèle Continuation)  de 1954 - photo Bonhams
Cunningham C4R (ici un modèle Continuation) de 1954 - photo Bonhams

De manière générale, les spectateurs ont un faible pour les « perdants magnifiques », qui n’arrivent jamais à gagner mais qui éblouissent l’épreuve par leur passion. Les belles ‘ricaines échouent à la troisième place par deux fois, consécutivement s’il vous plaît, en 1953 et 1954.

  • Le scénario de 1953, tout à fait classique, n’étonne personne : le moteur Chrysler est meilleur en ligne droite, tandis que les freins à disque des Jaguar Type-C offrent un avantage dans le sinueux. Deux philosophies différentes, mais un seul vainqueur.
  • L’année suivante, Briggs est encore plus proche mais l’équipage Ferrari d’usine aux airs de Dream Team (Maurice Trintignant / José Froilán González) est trop fort. Une troisième et cinquième place marque le meilleur résultat de Cunningham en Sarthe.

Les C-5R et C-6R (à moteur Offenhauser) ne firent pas mieux. 1955 sonne le glas, tant les problèmes s’accumulent sur la voiture. Briggs, perdant trop d’argent, met la clé sous la porte. L’atelier de West Palm Beach, Floride, ferme ses portes.

Corvette C1 des 24 Heures du Mans 1960 - photo Bonhams
Corvette C1 des 24 Heures du Mans 1960 - photo Bonhams

Pour sa détermination et son amour du Mans, Briggs sera nommé citoyen d’honneur de la ville pour son grand retour en 1960. Malheureusement, sur Chevrolet. Certes, le personnage est là, mais rien n’est plus pareil. Quelques participations supplémentaires suivirent, avec de beaux résultats à la clé ! En 1962, le vieux loup de mer âgé de 55 ans s’empare de la 4e place au général au volant d’une Jaguar Type-E Lightweight, aux côtés de l’excellent Roy Salvadori.

Jaguar Type E Lightweight aux couleurs Cunningham - photo Bonhams
Jaguar Type E Lightweight aux couleurs Cunningham - photo Bonhams

1963 marque la dernière apparition du plus manceaux des américains. Depuis cette date, les hommages pleuvent. En plus d’un virage à Sebring, le vainqueur de la Coupe de l’America 1958 s’est vu introduire au International Motorsport Hall of Fame l’année de sa mort.

Briggs nous quitta le 2 juillet 2003, après un long combat contre la maladie d’Alzheimer. Son héritage est monumental, et influença Shelby dans sa quête du Mans. La victoire Ford en 1966 laissa l’américain nostalgique, mais l’âme de compétiteur ne put être totalement rassasiée. « J’étais content, mais j’aurais aimé que ça soit une Cunningham ». Cependant, le patriote était fier en 1967, quand Ford remporta l’épreuve avec un équipage totalement américain, composé des gloires A.J. Foyt et Dan Gurney.

« Le Mans était comme une obsession pour moi. Je ne sais pas pourquoi, mais j’aimais ces courses longues, piloter pendant quatre heures, ne pas brusquer la mécanique. Vous devez survivre. » - Briggs Cunningham.

A lire pour continuer de découvrir l'histoire de Briggs Cunningham : "Bien avant Corvette et Cobra : Cunningham" chez DLV ou encore "’60 Corvette C1… Les V8 débarquent aux 24h du Mans !" sur le site de l'essence dans mes veines.

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