Pourquoi Christian Abt ?

En Allemagne, on aime les berlines à moteur 6 cylindres, la bière pilsener, la Bundesliga et les pilotes… allemands ! Ce raccourci de l’immense richesse culturelle d’outre-Rhin est volontairement étriqué mais c’est le point de départ de notre sujet du jour. Revenons en 1999, non pas à Munich mais dans la Sarthe, et posons-nous une question. La question ! Pourquoi Christian Abt ?

Nous sommes en 1999 et Audi Sport s’apprête à lancer son plus ambitieux programme en compétition depuis la fin de l’ère Groupe B en Championnat du Monde des Rallyes. Certes le constructeur d’Ingolstadt a enregistré deux titres consécutifs en DTM avec Stuck et Biela mais ces succès au début des années 90 n’avaient pas le prestige d’une future victoire aux 24 Heures du Mans. Pas plus qu’une couronne dans la série Trans-Am aux Etats-Unis.

Dès lors, le Docteur Ullrich met le paquet et sort l’imposant carnet de chèques qui permet la mise en œuvre d’un double engagement aux 24 Heures. L’un avec les LMP R8R développées conjointement avec Dallara et Fondmetal, le second via les GTP R8C conçues par l’intermédiaire de Racing Technology Norfolk, filiale engineering d’Audi UK dirigée par Richard Lloyd.

Pour piloter les roadsters du Team Joest, tous les pilotes officiels maison sont alors sollicités : Frank Biela, Yvan Muller, Emanuele Pirro, Rinaldo Capello, Laurent Aïello et Michele Alboreto. Au volant des coupés sous bannière britannique, le recrutement s’opère sur le marché des pilotes disponibles, notamment d’anciens Porschistes sans emploi. Ainsi, Stéphane Ortelli, Stefan Johansson, James Weaver, Andy Wallace, Perry McCarthy et Didier Theys complètent cet engagement XXL.

Tandis que tout semble bouclé et rigoureusement préparé pour la grande classique mancelle, un désistement inattendu vient gripper les rouages de cet imposant mécanisme germano-anglais. Yvan Muller, surchargé par ses multiples programmes et finalement peu intéressé par les courses d’endurance, quitte l’aventure peu de temps avant les essais préqualificatifs et laisse Frank Biela et Emanuele Pirro les bras ballants le dimanche 2 mai.

Ce premier contact avec le circuit manceau s’opère donc avec un homme en moins pour la délégation Audi Sport. Le programme de travail est toutefois déroulé comme prévu, mettant en exergue les qualités natives des R8R et le criant manque de développement des R8C. Le lendemain matin, c'est le branle-bas de combat au 2ème étage d'Ingolstadt où le Docteur Ullrich sort ses fiches cartonnées pour rechercher un remplaçant qualifié et disponible à Yvan Muller. L’heure tourne car dans quelques semaines, les quatre voitures frappées des anneaux défileront sous les chapiteaux aux Quinconces des Jacobins.

Rapidement, la décision est prise de transférer Didier Theys à bord de la R8R n°8. Avant de rejoindre le clan Audi, le belge sortait de quatre saisons à poncer la Ferrari 333SP avec laquelle il a notamment gagné à Daytona et Sebring en 1998. Les protos ouverts, ça le connait et il n’aura donc aucun mal à s’acclimater à cette auto. Toutefois ce décalage de ligne ne règle qu’une partie du problème car il est désormais nécessaire de compléter l’équipage de la R8C n°9 désormais formé par les seuls Stéphane Ortelli et Stefan Johansson.

A gauche, Stéphane Ortelli ne roulera pas avec Didier Theys ici à ses côtés, mais avec Stefan Johansson et Christian Abt donc

Et si le légendaire Wolfgang Ullrich intégrait un pilote allemand dans ses rangs ? Un second, car en réalité Frank Biela est le seul à porter les couleurs du Bundesflagge pour toute la délégation Audi. Le seul, parmi onze autres équipiers. En comparaison, AMG-Mercedes et BMW Motorsport comptent un compatriote sur chaque auto alignée. Un Allemand serait donc le bienvenu, toutefois il ne suffit pas de ce seul critère pour être de la partie. Un pilote familier de la marque et familier de ce programme Le Mans serait le profil idéal.

Dans les petites fiches du Directeur d’Audi Sport, un candidat semble répondre à toutes ses spécificités. Cet homme, c’est Christian Abt. À cette époque, il est l’un des joyeux lurons qui animent le peloton de la STW Cup, Championnat Allemand des voitures de tourisme. Au volant d’une Audi A4 privée, engagée par l’équipe familiale naturellement, Christian Abt montre de très belles choses en faisant souvent jeu égal avec ses adversaires des teams officiels.

Par ailleurs, il a déjà été sollicité pour des essais privés dans le cadre du développement de la R8R. Certes il devra œuvrer dans le cockpit fermé du coupé mais qu’à cela ne tienne, Il n’en fallait pas plus au grand patron pour décider de lui laisser sa chance sur une course aussi exigeante et prestigieuse que les 24 Heures du Mans.

Découverte des 24 Heures du Mans en R8C pour Christian Abt

Rapides en ligne droite, les R8C le sont sans aucun doute puisqu’à 349 km/h en pointe, elles sont les voitures les plus vites après les Toyota TS020. Toutefois, elles sont pataudes et surtout fragiles et l’aventure tournera court. À l’entame de la 3ème heure, alors qu’il venait depuis peu de prendre son premier relai, Christian Abt actionne le clignotant gauche à l’entrée de la ligne droite des Hunaudières pour immobiliser définitivement la R8C n°9, différentiel cassé. Il n’aura donc pas eu le temps de mémoriser ses stations de radios préférées ni de prendre de l’expérience en course lors de ce baptême du feu bien maigrichon.

Au pesage, les deux R8C

Pour l’ensemble de son œuvre, son dévouement à la marque et son titre de Champion STW Cup acquis à l’issue de cette saison 1999, le Docteur Ullrich le confirme dans le programme Le Mans 2000 avec cette fois-ci une voiture assurément taillée pour la victoire. D’autant que l’équipe BMW Motorsport, tenante du titre, a préféré se badigeonner de crème solaire sur les côtes allemandes de la Mer Baltique à défaut d’une confrontation au sommet.

Préliminaires 1999 : 6 pilotes pour les R8C, mais Didier Theys (5e en partant de la gauche) va céder sa place à Christian Abt

Sur la R8 n°7, Christian Abt fait cause commune avec Rinaldo Capello et Michele Alboreto. Entre les crevaisons, les sorties de piste et les problèmes de boite de vitesses, la course des trois Audi R8 officielles n’a pas été limpide. Cependant, ni les Panoz trop justes en performance, ni les Riley & Scott à logo Cadillac, ni la Lola Rafanelli fragile comme du verre n’ont opposé la moindre résistance et à l’arrivée le constructeur allemand inscrira un triplé historique qui préfigurera 14 ans de succès.

Le Mans 2000, deuxième et dernière participation pour Christian Abt

Christian Abt termine quant à lui troisième de cette 68ème édition qui sera sa seconde et dernière expérience mancelle. Comme tout pilote allemand qui se respecte, biberonné aux viriles batailles du DTM sur fond de 99 Luftballons, notre vedette du jour privilégiera les courses de caisses à portes puis le Grand Tourisme non sans succès. Plus que jamais fidèle à Audi, il portera longtemps la combinaison officielle de la marque en DTM, signant une victoire à Zandvoort en 2001 puis remportant le Championnat ADAC GT Masters en 2009.

Il est beau ton casque mon Christian !

Pour celles et ceux qui se poseraient la question… Christian Abt est le tonton de Daniel Abt, vu au Mans sur une Rebellion R-One en 2015.

Crédit photo : Audi

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