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Ce n'est pas aux 24 Heures du Mans que doivent aller les vainqueurs du GP Explorer !


La seconde édition du GP Explorer continue de faire parler. Après l'événement en lui-même, encensé par de nombreux observateurs, puis la polémique liée au harcèlement dont a été victime une participante, c'est maintenant le futur du concept qui alimente les discussions. A quoi ressemblera le GP Explorer 3 ? Invité de l'émission 100% Sports de France Bleu Maine, Pierre Fillon (président de l'Automobile Club de l'Ouest) a évoqué l'idée de faire courir aux 24 Heures du Mans les trois premiers du GP Explorer. Un simple scénario, pour l'heure.

D'une voix feutrée, un peu hésitant, Pierre Fillon confie : "L'objectif secret serait de mettre les trois premiers dans une voiture de course aux 24 Heures du Mans". Secret, le projet ne l'est subitement plus, et il devient plausible, tant la parole du dirigeant est importante. Alors voilà à quoi pourrait ressembler les suites de cet événement si particulier qu'est le GP Explorer ? Cet ovni, à mi-chemin entre course de voiture et grand festival à ciel ouvert, pourrait trouver une connexion avec la mythique épreuve des 24 Heures du Mans ? Surprenant. Déroutant. Surtout, assez illogique.

Surprenant car, pour l'heure, si le GP Explorer est un succès populaire que l'on ne peut que constater - et dont on est heureux pour le sport automobile en général - l'aspect sportif est plus que discutable.

Déroutant car jamais une passerelle n'a existé entre le GP Explorer et les 24 Heures du Mans, les deux univers étant relativement opposés, pour ne pas dire cloisonnés.

Illogique car le GP Explorer n'est pas une filière de détection ou de recrutement de pilotes, qui eux passent par un process très différent.

D'un "tournoi IRL de Formule Renault" aux 24 Heures du Mans

On reprend depuis le début, d'accord ? En 2020, durant la quatrième édition du Z Event (un événement caritatif organisé par le streamer Zerator), Squeezie propose comme objectif de don de mettre au point un « tournoi IRL de Formule Renault » si la cagnotte atteignait 100 000 € durant l'événement. Objectif atteint qui, en 2022, débouchait sur le GP Explorer. Le GP Explorer est à l'origine une sorte de prolongation dans le réel de l'univers jeu vidéo. Un battle royale dans de vraies bagnoles, en résumé.

Sceptique sur le projet au départ, j'ai compris comment la Fédération Française du Sport Automobile (FFSA) et les équipes de l'ACO ont accompagné la montée en compétence des Youtubers. La "chose" a été prise au sérieux. Côté ACO, on a dédié du personnel, pour éviter le pire ou la déroute. Et il faut le dire, la première édition fut un succès.

Si de l'extérieur, la critique est facile et peut se résumer à une course de gosses riches, l'effort d'apprentissage, de respect des étapes et de préparation est bien réel. Les GP Explorer I et II ont tenu ce format qui se prête d'ailleurs très bien à la création de contenus.

  • Des Youtubers/streamers sont invités et ont une petite culture sport-auto ou au contraire sont novices ;
  • On suit au travers de vidéos leurs entrainements, leurs progrès, les doutes ;
  • Le jour J, la course est un aboutissement, un "tournoi IRL".

De nombreuses vidéos sont très belles et avec des images passionnantes. Je pense à Amixem ou Depielo.

40 000 spectateurs en 2022, 60 000 en 2023, plus de 200 000 personnes sur liste d'attente, le GP Explorer fait déplacer des foules. Et c'est tant mieux.

Il est logique que le GP Explorer 3 (s'il s'appelle ainsi) prenne une autre tournure.

Mais cumuler les éditions en changeant à la marge le concept, c'est le risque d'un essoufflement. Il est logique que le GP Explorer 3 (s'il s'appelle ainsi) prenne une autre tournure. En lien avec les 24 Heures du Mans ? C'est là que survient - selon moi - le blocage.

Comment participe t-on aux 24 Heures du Mans ?

Là encore, on va tout reprendre depuis le début pour répondre à cette question : comment fait-on pour participer aux 24 Heures du Mans ? C'est vrai, vous avez peut-être envie de devenir pilote dans la plus grande course d'endurance au monde.

Comment s'y inscrire ? Il n'existe pas de voie classique. On croise à la fois de jeunes pilotes prometteurs tout juste majeurs, d'anciens champions du monde de Formule 1, des pilotes actifs dans d'autres championnats ou encore des gentlemen drivers.  Ces derniers sont des pilotes non professionnels, que l'on peut qualifier d'amateurs car ils ne sont pas pilotes à plein temps mais ont un niveau élevé. Ils ne sont en rien des amateurs sur le plan sportif.  

Concrètement, pour faire les 24 Heures du Mans, il faut obtenir une "Licence Internationale B", après avoir décroché une Licence Internationale "C" (C auto ou C F4). Il faut pour cela participer à des compétitions nationales ou internationales sur circuit, et être catégorisé par la FIA. Tout le détail des exigences est expliqué sur Auto Hebdo : "Les trois premiers du GP Explorer bientôt aux 24 Heures du Mans ?".

Et puis, et puis, traditionnellement, il faut montrer patte blanche. Le Mans est une épreuve centenaire, riche d'une histoire forte, dont la liste des engagés est déterminée sur invitation. C'est l'ACO qui, via son comité de sélection, retient ou non des équipes engagées, et donc des pilotes.  C'est souvent la fidélité à l'endurance et la progression au sein des catégories qui est récompensée. Pas le nombre d'abonnés et de vues sur Youtube ou Twitch.  Depuis maintenant 20 ans, et la création du championnat Le Mans Series, c'est une pyramide d'accession aux 24 Heures du Mans qui existe. Le Mans, c'est l'aboutissement.

On débute en Michelin Le Mans Cup (en LMP3 ou GT3) pour découvrir le multi-catégories en piste. Puis on bascule en European Le Mans Series (ELMS), toujours en prototype mais cette fois en LMP2 ou LMP3, voire en GT. Et, enfin, on peut prétendre au Mans, selon les résultats. Il n'est pas rare, même pour les projets les plus ambitieux, de voir une progression étalée sur 3 à 4 ans avant d'arriver en Sarthe.

Si le GP Explorer offre une passerelle vers Le Mans, il va devoir évoluer.

Pour nos créateurs de contenus, si la partie administrative ne peut pas être contournée (les licences), le principe de l'invitation peut leur permettre de ne pas attendre aussi longtemps, et donc de débarquer au Mans rapidement (2025 ou 2026). Mais est-ce la finalité du GP Explorer ? Dans sa forme actuelle, non. Si le GP Explorer offre une passerelle vers Le Mans, il va devoir évoluer.

Ne pas se résumer à une seule course dans l'année ou à des "entraînements" par exemple, et ne pas être cantonné à des F4, monoplaces d'accès au sport-auto. Ne pas non plus être une course avec sur la grille de départ des créateurs sélectionnés par Squeezie et ses équipes. Si les trois premiers sont invités au Mans, toute la grille doit être prête à relever le défi. Gotaga, Kaatsup ou Seb ont-ils envie de faire les 24 Heures du Mans si, à l'issue de la course, ils sont dans le Top 3 ?

"Mais en fait c'est comme la GT Academy"

Mais en fait c'est comme la GT Academy ! Non. Vous pouvez le répéter plusieurs fois dans votre tête, non. Gran Turismo (ah oui au fait, spoiler, Jann Mardenborough n'a pas le record du tour et n'a jamais terminé troisième au Mans comme cela est montré dans le film) a permis à des joueurs d'arriver jusqu'aux 24 Heures du Mans.

Mais le processus de préparation était précisément calqué sur la pyramide d'accès à l'endurance que nous venons d'évoquer.

Lucas Ordóñez, Jordan Tresson ou Jann Mardenborough, les trois premiers vainqueurs, ont tous participé au Mans. Après avoir fait leurs armes sur d'autres circuits, dans d'autres disciplines. Pas après avoir battu (seulement) des gamers.

Leur niveau de pilotage a été attesté en partie par leurs performances sur Gran Turismo, puis confirmé en piste. La GT Academy était une sélection, un concours d'entrée si vous préférez. La recherche du meilleur. Difficile de faire le parallèle entre ces trois là et Romain Goisbeau (LeBouseuh) qui visait encore il y a peu le Top 5000 monde sur F1 23 (désolé gars, rien contre toi). Difficile aussi de tenir la comparaison avec Pierre-Olivier Valette (Depielo), qui avec sa culture du sport-automobile (et sa proximité notamment avec les jeunes pilotes français en devenir) doit très bien connaître ses limites, et savoir que Le Mans n'est pas pour lui. Pas tout de suite du moins.

Il n'y a aucun point commun avec la GT Academy tant sur le mode de sélection que le niveau de soutien. Aucun.

Il n'y a aucun point commun avec la GT Academy tant sur le mode de sélection que le niveau de soutien. Aucun.

OK, mais bon des Youtubers dans une voiture de course, ça existe déjà, faut vivre avec son temps !

Ah oui, en effet. Comme aux 24 Heures du Nürburgring avec Misha Charoudin. Mieux, en 2024, Jimmy Broadbent, Misha Charoudin et Steve Brown (SuperGT) vont former un équipage, avec Bilstein comme sponsor principal. Et c'est une excellente initiative. Tous ont une expérience sur circuit qui dépasse 15 tours de Bugatti (je parle de COURSES, pas de séances d'essais). Jimmy Broadbent suit sa route, engagé dans un championnat en Angleterre, et a déjà gagné des courses. Ils sont au niveau.

Surtout, les 24 Heures du Nürburgring ne sont pas comparables au Mans. On peut y rouler avec des voitures bien moins puissantes, plus abordables (comme la fameuse Dacia éclatée lors de la dernière édition), et les organisateurs cultivent ce melting-pot. Le Nürburg, c'est une foire à la saucisse assumée, un show. D'ailleurs, le lien avec ces créateurs de contenus est logique car la Nordschleife a aujourd'hui un caractère légendaire largement lié aux jeux vidéo (Gran Turismo) et aux vidéos de crash sur Youtube.

La suite du GP Explorer

Voir Depielo, Sylvain Lévy et Etienne Moustache aux 24 Heures du Mans, pourquoi pas. On leur souhaite. Mais pas seulement pour avoir terminé aux trois premières places du GP Explorer.  Faire un podium dans cet événement ne doit pas déboucher systématiquement sur une invitation aux 24 Heures du Mans.  Cela serait un affront aux concurrents réguliers, ceux dont c'est le métier, et qui vont aux quatre coins du monde pour décrocher ce sésame.

L'ACO aurait tort de se priver de la popularité du GP Explorer.

Mais un lien est à construire, oui.

L'ACO aurait tort de se priver de la popularité du GP Explorer. Que faire ? Faire du GP Explorer un événement plus complet, avec d'autres courses (GT, tourisme, etc.). Transformer le format en fête du sport-auto, la présence d'Alpine ou de Cupra montre que les constructeurs sont intéressés.

La réalité, c'est qu'aujourd'hui, seuls Depielo, Sylvain Lévy et Etienne Moustache semblent être (dans la promotion 2023) en capacité de se lancer dans une préparation sérieuse vers les 24 Heures du Mans. En ont-ils l'envie ? Le temps ? Donner un ticket pour Le Mans aux trois premiers de la prochaine édition est une prise de risque énorme pour l'ACO, et un "poids" que chaque participant doit évaluer.

Si le "projet secret" de Pierre Fillon est de préparer Depielo, Sylvain Lévy et Etienne Moustache, en leur balisant le chemin au travers des compétitions labelisées ACO, c'est oui !

C'est d'ailleurs là qu'ils devraient aller. La Michelin Le Mans Cup a besoin de cette notoriété, de leur popularité. Le championnat est très bien ficelé, constitue le premier échelon, et y voir une voiture de Youtubers soutenue par des marques a un sens. Cela pourrait booster les audiences, amener ce public plus jeune et engagé sur les manches en Europe (voir le calendrier de la Le Mans Cup 2023), et finalement servir les intérêts mutuels. Et qui sait. Si le niveau de pilotage est haussé, pourquoi pas voir ces créateurs devenus pilotes aux 24 Heures du Mans un jour.

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Crédit photo : EM, Twitch Squeezie

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